Assurance-vie avant ou après 70 ans : les conséquences fiscales

Une récente décision de la Cour de cassation apporte un éclairage intéressant sur les enjeux fiscaux liés à l’assurance-vie. Le cas, bien que particulier, soulève une question essentielle : qu’advient-il lorsque le paiement destiné à échapper à une fiscalité plus lourde est encaissé après un moment clé, comme l’anniversaire des 70 ans du souscripteur ?

Les faits : un timing mal géré

À l’approche de ses 70 ans, un client du Crédit Agricole des Savoie souscrit une assurance-vie au bénéfice de ses deux petits-fils. Espérant profiter de l’exonération de droits de succession applicable avant cet âge, il remet un chèque juste avant son anniversaire. Toutefois, l’assureur, Predica (filiale du Crédit Agricole), encaisse le paiement après les 70 ans du client.

Le problème ? La fiscalité applicable à l’assurance-vie change significativement après cet âge. Avant 70 ans, les primes versées bénéficient d’une exonération totale jusqu’à 152 500 € par bénéficiaire (article 990 I du Code général des impôts). Après 70 ans, cette exonération est plafonnée à 30 500 € pour l’ensemble des bénéficiaires, et les sommes au-delà de ce plafond sont soumises aux droits de succession selon le lien de parenté (article 757 B du CGI).

Dans ce cas précis, la prime de 150 000 € aurait permis à chaque petit-fils de recevoir 75 000 € sans impôt si le chèque avait été encaissé avant les 70 ans. Mais, à cause du retard, la somme devient partiellement taxable, réduisant l’avantage fiscal.

Une négligence mise en cause

Estimant que la banque et l’assureur avaient commis une faute en ne respectant pas sa consigne, le souscripteur les assigne en justice. Selon lui, leur manque de coordination lui a fait perdre une chance d’optimiser la transmission de son patrimoine.

Cependant, les tribunaux ne partagent pas son avis. La cour d’appel rejette sa demande, avançant que :

  • Le préjudice fiscal invoqué est hypothétique, car il dépend de plusieurs facteurs incertains, comme la législation en vigueur au moment du décès ou la possibilité pour le souscripteur de modifier ses bénéficiaires ou de racheter son contrat.
  • Aucun préjudice concret n’a été subi puisque l’éventuelle taxation surviendra après le décès du souscripteur et sera à la charge des bénéficiaires, non du souscripteur lui-même.

Le verdict de la Cour de cassation

La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. Deux arguments principaux motivent son rejet :

  1. Absence de préjudice fiscal direct pour le souscripteur : Le paiement des droits de succession incombera aux bénéficiaires désignés au moment du décès, pas au souscripteur lui-même. De plus, jusqu’à son décès, ce dernier conserve l’intégralité des fonds investis et peut en disposer librement.
  2. Préjudice hypothétique et incertain : La taxation ne peut être établie qu’au jour du décès. Entre-temps, la législation applicable peut changer, les bénéficiaires peuvent être modifiés, ou le souscripteur peut choisir de racheter son contrat. Ces incertitudes rendent impossible la reconnaissance d’un préjudice actuel.

En conséquence, le client est débouté et condamné à rembourser 2 000 € de frais judiciaires à la banque.

Ce qu’il faut retenir

  • Le moment clé pour la fiscalité de l’assurance-vie : C’est la date d’encaissement des primes qui détermine leur régime fiscal, non celle de la signature du contrat ou de la remise du chèque.
  • L’importance de l’anticipation : Les versements doivent être effectués et validés avant l’anniversaire des 70 ans si l’on souhaite bénéficier du régime fiscal favorable applicable aux primes versées avant cet âge.
  • Le poids des incertitudes : La fiscalité applicable est celle en vigueur au décès, un événement futur difficile à prévoir. Cela rend les réclamations liées à un préjudice fiscal souvent fragiles.

Référence jurisprudentielle

Cass. com., 11 septembre 2024, n°22-23.014

Cette affaire illustre l’importance de planifier avec soin ses investissements en assurance-vie, en tenant compte des délais de traitement et en se faisant accompagner par des professionnels pour éviter de mauvaises surprises.