
L’apport d’un bien immobilier à une société civile immobilière (SCI) n’est pas toujours un acte anodin. La Cour de cassation, dans un arrêt du 29 mai 2024 (n° 22-20.308), a rappelé qu’un tel apport peut constituer une fraude paulienne, lorsqu’il vise à soustraire un actif à ses créanciers. Explications.
Qu’est-ce que la fraude paulienne ?
La fraude paulienne permet à un créancier de contester un acte passé par son débiteur qui a pour effet de rendre plus difficile le recouvrement de sa créance. En vertu de l’article 1341-2 du Code civil, l’acte frauduleux peut être déclaré inopposable au créancier, ce qui signifie que ce dernier pourra l’ignorer juridiquement pour recouvrer sa créance.
Ce mécanisme vise les actes d’appauvrissement volontaire, notamment les transferts de biens effectués dans le but de les rendre inaccessibles à la saisie.
L’affaire : un apport immobilier contesté par la banque
Dans l’affaire jugée, une EURL avait contracté un prêt bancaire, avec une caution solidaire apportée par son gérant. Après la mise en redressement judiciaire de la société, un plan de remboursement a été mis en œuvre.
Pendant la période d’exécution de ce plan, le gérant a apporté un immeuble lui appartenant à une SCI, qu’il gérait également. Dans un second temps, il a cédé la nue-propriété de ses parts sociales dans cette SCI. La banque créancière, estimant qu’il s’agissait d’une manœuvre pour échapper au remboursement de la dette, a saisi la justice pour faire annuler ou rendre inopposables ces opérations.
Une décision importante de la Cour de cassation
Alors que les juges de première instance avaient rejeté la demande de la banque, la Cour de cassation a cassé cette décision. Elle a rappelé un principe issu de l’ancien article 1167 du Code civil (désormais codifié à l’article 1341-2) : le créancier peut attaquer les actes de son débiteur qui portent atteinte à ses droits.
La Cour a estimé que l’apport d’un immeuble contre des parts sociales constitue potentiellement un appauvrissement, car il substitue un actif immobilier, facilement saisissable, par des titres sociaux plus difficiles à valoriser ou à vendre, notamment en raison de leur caractère non liquide ou des règles de gestion propres aux SCI.
Ce qu’il faut retenir pour éviter la requalification
Cet arrêt rappelle un point fondamental : un apport à une SCI ne met pas à l’abri d’une action en justice, notamment lorsque les dettes sont antérieures à l’opération. Pour qu’une action en fraude paulienne aboutisse, il suffit de démontrer :
- Que l’acte entraîne un préjudice pour le créancier,
- Qu’il a été réalisé après la naissance de la dette,
- Et que le débiteur avait conscience du préjudice causé.
Conséquences juridiques de la fraude paulienne
Si la fraude est reconnue, l’acte litigieux (apport, cession, etc.) est déclaré inopposable, ce qui signifie que le créancier peut l’ignorer et saisir le bien comme si l’apport n’avait jamais eu lieu. Dans le cas étudié, la banque pourrait donc demander à ce que l’immeuble apporté soit saisi pour rembourser la dette.