Clause de préciput : le droit de partage est-il applicable ?

La clause de préciput est un outil essentiel pour renforcer la protection du conjoint survivant. Prévue à l’article 1515 du Code civil, elle permet au conjoint de prélever certains biens de la communauté avant le partage de la succession. Toutefois, un point juridique reste controversé : cette opération est-elle soumise au droit de partage de 2,5 % prévu par l’article 746 du Code général des impôts (CGI) ?

Clause de préciput et droit de partage : une bataille judiciaire en cours

Dans un précédent article, nous évoquions deux décisions rendues par les Cours d’appel de Rennes et de Poitiers. Ces juridictions avaient estimé que l’exercice de la clause de préciput ne constituait pas un acte de partage. En conséquence, elles avaient exclu l’application du droit de partage, en faveur des contribuables.

Mais un récent arrêt de la Cour d’appel de Grenoble (24 septembre 2024) vient contredire cette interprétation et relancer le débat.

La position de la Cour d’appel de Grenoble : une opération taxable

Dans son jugement, la Cour d’appel de Grenoble affirme que l’exercice du préciput remplit les conditions d’un partage au sens fiscal, et qu’il doit donc être taxé à hauteur de 2,5 %. Elle se fonde sur les quatre critères dégagés par la doctrine administrative pour caractériser un acte de partage :

  1. Acte notarié : le préciput résulte d’un contrat de mariage ou d’une modification notariée du régime matrimonial.
  2. Existence d’une indivision : le décès met fin à la communauté et crée une indivision entre héritiers.
  3. Indivision juridiquement encadrée : les droits de chaque partie sont déterminables par les règles légales et la clause de préciput.
  4. Partage effectif : la clause opère un transfert de droits abstraits vers un droit de propriété exclusif.

Selon la cour, le fait que la clause de préciput s’applique avant le partage n’exclut pas sa qualification d’opération de partage. Elle estime que ce prélèvement préciputaire transforme les droits indivis en droits privatifs, ce qui est, juridiquement, la définition même d’un partage.

Une insécurité juridique persistante pour les contribuables

Cette divergence d’interprétation entre les cours d’appel génère une insécurité juridique majeure. Les contribuables peuvent difficilement anticiper la fiscalité applicable à une clause de préciput, ce qui complique les stratégies patrimoniales.

Une clarification est attendue le 27 mai 2025, date à laquelle la Première chambre civile de la Cour de cassation est appelée à rendre son avis, sollicité par la Chambre commerciale. Elle devra trancher la question essentielle : le prélèvement préciputaire constitue-t-il une opération de partage au sens fiscal ?

En attendant l’arbitrage de la Cour de cassation…

La décision à venir pourrait enfin stabiliser la jurisprudence et offrir aux couples une visibilité fiscale indispensable lors de la planification successorale. En attendant, il est recommandé de faire preuve de prudence lors de l’insertion d’une clause de préciput, et d’en évaluer les impacts fiscaux avec un notaire ou un conseiller en gestion de patrimoine.