Qui perçoit les capitaux décès en cas de prédécès de l’usufruitier ?

La Cour d’appel de Douai a rendu, le 16 janvier 2020, une décision importante concernant les contrats d’assurance-vie avec clause bénéficiaire démembrée, répondant à une question fréquente : que se passe-t-il si l’usufruitier désigné dans la clause est prédécédé au moment du dénouement du contrat ? La réponse donnée par la Cour est que les capitaux décès doivent être versés en pleine propriété aux nus-propriétaires, écartant ainsi les bénéficiaires de second rang, même si la clause mentionne « à défaut mes héritiers ».

Les faits du litige

Dans ce cas, une assurée avait souscrit trois contrats d’assurance-vie et désigné une bénéficiaire en usufruit, Mme P, ainsi que trois nus-propriétaires, les enfants de Mme P (X, Y et Z), à hauteur d’un tiers chacun. Cependant, après une transformation « Fourgous » de deux de ces contrats, l’assureur avait, de sa propre initiative, complété la clause en ajoutant « à défaut mes héritiers ».

Au décès de l’assurée, et pour donner suite au prédécès de l’usufruitière, l’assureur a interprété la clause comme étant caduque pour les deux contrats modifiés et a versé les capitaux décès aux héritiers de la souscriptrice (qui n’étaient pas les nus-propriétaires), écartant ainsi ces derniers. Pour le troisième contrat, les capitaux ont été réintégrés à la succession par le biais du notaire. Cette décision avait initialement été validée par le tribunal de première instance.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Douai a annulé cette interprétation en affirmant que les nus-propriétaires devaient recevoir les capitaux décès en pleine propriété. La Cour a précisé que le droit des nus-propriétaires prime sur celui des bénéficiaires de second rang, même en cas de prédécès de l’usufruitier. En outre, elle a souligné que l’assureur aurait dû, face à cette situation complexe, consulter un juge pour déterminer l’attribution correcte des capitaux décès, afin d’éviter des erreurs de versement.

Enseignements pratiques

Cette décision rappelle l’importance de prévoir clairement le sort des capitaux en cas de prédécès de l’usufruitier dans une clause bénéficiaire démembrée. Une rédaction précise, du type : « en cas de décès de l’usufruitier avant le dénouement du contrat, les nus-propriétaires recevront les capitaux décès en pleine propriété », permet d’éviter les ambiguïtés et les interprétations erronées. Cette clarification est cruciale pour que l’assureur et, en cas de litige, le juge puisse respecter la volonté réelle du souscripteur.

De plus, l’ajout non sollicité par l’assureur de mentions telles que « à défaut mes héritiers » peuvent modifier substantiellement la répartition des capitaux décès et entraîner des conflits, comme ce fut le cas ici. Il est donc essentiel de toujours vérifier la clause bénéficiaire enregistrée et d’éviter toute modification non explicitement demandée par le souscripteur.

Responsabilité de l’assureur et restitution des capitaux versés à tort

Dans cette affaire, la Cour a précisé que même si l’assureur avait commis une erreur en versant les capitaux décès aux mauvais bénéficiaires, il ne s’agissait pas d’un acte de mauvaise foi, mais plutôt d’une négligence. Toutefois, les bénéficiaires ayant indûment perçu les capitaux devront les restituer. L’action en restitution des sommes versées par erreur est soumise à une prescription de cinq ans, à compter de la décision judiciaire confirmant l’erreur.

Enfin, la Cour rappelle que l’assureur n’a aucun devoir de conseil vis-à-vis des bénéficiaires. Ce devoir ne concerne que le souscripteur, et tout manquement éventuel de l’assureur dans le conseil donné au souscripteur ne peut être invoqué que par les héritiers du souscripteur après son décès.

Conclusion

Cette décision met en lumière la complexité des clauses bénéficiaires démembrées dans les contrats d’assurance-vie et la nécessité d’une rédaction rigoureuse et sans ambiguïté pour éviter tout litige. Elle rappelle également le rôle de l’assureur dans l’interprétation de ces clauses et les conséquences d’une mauvaise gestion de la répartition des capitaux décès en cas de prédécès d’un bénéficiaire.